Pour qui a parcouru un jour les rives de la Loire, du côté d’Arlempdes (Haute-Loire), l’ineptie du projet du barrage de Serre de la Fare apparaît dans toute son évidence. On a là un gros ruisseau coincé dans une gorge étroite, pas tout à fait une rivière. De gros galets ont été polis par l’eau, parmi quoi filent des poissons. Rien à voir avec le fleuve qu’est devenue la Loire telle qu’on la voie à Nantes ou même à Orléans.
Ce projet de barrage appartient donc à ce qu’on a depuis appelé les GTI : les grands travaux inutiles. UN témoignage de la supériorité de l’homme sur la nature : « la nature n’a pas à contrarier le progrès », pour reprendre la phrase que les auteurs mettent dans la bouche de Jean Royer, puissant maire de Tours qu’il n’a eu de cesse d’agrandir. Entre 1983 à 1995, il est président de l’Établissement public d’aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA [1]). C’est à ce titre qu’il entreprend d’aménager certains secteurs de la Loire, dont celui de Solignac-sur-Loire et du Goudet.
Alain Bujac et Damien Roudeau sont allés rendre visite à ceux qui se sont mobilisés contre le projet, qui fonde bientôt le comité Loire vivante et occupent le terrain : les prémices de ce qu’on appelle aujourd’hui des ZAD. Le récit est ainsi organisé chronologiquement, ce qui permet de bien mettre en lumière les premières actions et leurs limites, ainsi que ses difficultés : il n’y a pas de professionnels de la contestation sociale ; le mouvement ne bénéficie pas de l’appui des élus… Mais on voit, au fur et à mesure, comment cette lutte a gagné en notoriété, et comment s’est développé un ralliement international. On voit également que la sauvegarde de la Loire déborde largement le cadre écologiste : des commerçants acceptent les dépôts de documents ; la liste aux municipales de 1989 obtient un score très honorable, dans une ville de droite.
L’album allie subtilement les photographies et les dessins, à la manière d’un reportage illustré : cela lui donne le rythme nécessaire pour emmener le lecteur au gré des pages. Il repose sur des gens qui n’ont rien de pittoresque ou de marquant : des personnes simples, attachés à leur région. L’un d’entre eux le résume bien : « tous ces moments passés seul sur les bords de la Loire, Jérôme, sculpteur, à laisser aller mes pensées, à me construire… Tout cela allait disparaître…Ce territoire est un point d’ancrage dont j’ai profondément besoin, pour évoluer, réfléchir, créer ».